Parlons des livres que nous n'avons pas lus !

En flânant sur le site de Causeur, la semaine dernière, un article signé de la plume de Jean-Paul Brighelli m'a particulièrement interpellé. Et pour cause.
Bibliothèque étudiante

Intitulé Classes prépa B/L, l'école des héritiers, il m'a touché personnellement puisque je sors justement d'une première année de B/L (je l'avais dit dans ma Présentation).
Présentant tout d'abord la B/L - dont le nom peut vous paraître quelque peu barbare - comme une classe créée en 1983 et combinant des matières littéraires avec de l'économie et des sciences sociales, l'auteur explique (très justement) que du fait de leur petit nombre en France (27), ces classes qui ouvrent de nombreuses portes sont aussi difficiles d'accès. Jusque là me direz vous, tout va bien, d'autant plus que l'auteur de l'article est lui-même professeur en B/L au lycée Thiers à Marseille.

Une prépa généraliste où il fait bon vivre (ou pas)

En s'enfonçant plus loin dans l'article, l'on se voit expliquer plus en détail les rouages et les débouchés de la B/L. Car, si cette classe a l'avantage d'ouvrir à ses étudiants les portes de plusieurs concours prestigieux, elle possède également l'inconvénient de le leur faire payer durant leurs deux années d'études (trois pour les plus/moins chanceux, je vous laisse le choix de l'appréciation). 
Lettres, philo, histoire, éco, sciences sociales, langues (vivantes et parfois mortes), géographie... Vous ne rêvez pas, il s'agit bel et bien des matières présentes dans l'emploi du temps d'un élève de B/L.

Comme si cela ne suffisait pas, viennent s'ajouter à cela des heures de khôlles (oraux du soir que l'on attrape même quand on est sage) ainsi que 6 heures de devoirs surveillés placées le samedi afin d'ouvrir les festivités du week-end. Pour briller, l'élève de B/L devra être complet et ne faire l'impasse sur (presque) aucune matière puisque les coefficients sont assez élevés un peu partout. C'est ainsi que viennent s'ajouter de nombreuses heures d'études personnelles, où le manque de sommeil s’avérera être le pire ennemi de l'étudiant.

Vous l'aurez compris, les heures consacrées au temps personnel restent rares, entraînant la mise entre parenthèse de la vie sociale. En effet, l'article va même jusqu'à déconseiller toute relation sentimentale afin de rendre optimale la préparation aux concours. Ce n'est pas une aberration car il est vrai que toute déprise sentimentale est susceptible d'ôter les restes de concentration présents dans nos vils esprits et l'être se retrouve alors confronté au néant de sa productivité. Cependant, si s'agit bien d'une vérité, elle est universelle et pourrait donc s'appliquer à toute personne susceptible d'avoir une activité qui nécessite de la concentration ; d'autre part, j'ai vu de nombreux étudiants réussir leur prépa tout en voyant leur copain/ine (prépa maquée, prépa pas forcément ratée donc).

Vu comme ça, la prépa est un enfer rempli de personnes étranges ; l'on se soucierait presque de leur santé mentale ou de leur rapport à l'alcool pour avoir postulé afin d'y entrer. Bien sûr, l'image est caricaturale, presque à l'extrême. Allez savoir si les professeurs, quand ils affirment que leurs étudiants ne sortent plus de chez eux afin de réviser, sont convaincus de ce qu'ils disent.

Quoi qu'il en soit, ce que j'ai pu voir aura été quelque peu différent des mythes et légendes qui circulent sur la prépa. Ma vie sociale se portant bien, j'ai pu me faire des amis - dont certains le resteront pour très longtemps grâce à la cohésion que permet de construire les moments difficiles des études - avec qui j'ai pu faire la fête, afin de décompresser et s'amuser, bons adolescents normaux que nous sommes. Oui nous aussi nous sommes normaux en fin de compte !


La prépa des jongleurs

Outre les révisions assidues et acharnées, il reste difficile d'exceller partout me direz-vous. Affirmatif. 

Vient donc ce moment où l'on rentre au sein même de la substance de ce fameux article, qui par honnêteté intellectuelle, se doit d'être confirmée. Car, même si les lignes écrites se transforment peu à peu en pamphlet (nous verrons pourquoi par la suite) dénonçant les travers (ou plutôt la particularité) de la B/L, ce qui est écrit touche une certaine réalité des us et coutumes des élèves en B/L.

Voici donc quelques conseils pour réussir.

Tu réviseras "intelligemment"

Etudiants, nous avons tous été confrontés au moins une fois à cette maxime, qui reste assez vaste et ne renferme rien de bien précis. En effet, réviser de façon "intelligente" peut vouloir signifier tout et rien en même temps.
Il faut donc le prendre comme cela nous convient, et, en tout bon étudiant, l'élève de B/L privilégiera le travail bien fait et surtout vite fait. Ainsi, les révisions seront basées sur une synthèse permanente des propos évoqués afin de saisir le sens général des cours et être capable de broder autour de quelques idées générales le jour crucial. 
C'est ainsi que de nombreux élèves, connaissant le plan général du cours et ayant recherché quelques arguments ou citations pour étayer leurs propos réussissent très bien, aux devoirs comme aux concours. Pour cela, ce qui n'est nullement surprenant, il faut être capable de maîtriser la langue de Molière afin de pouvoir broder au fil des pages tout en passant inaperçu. 
« Ça passe crème », je vous jure !

Tu te feras aimer des professeurs 

Je vous vois déjà venir: « C'est d'une banalité » !
Oui et non. Car si au collège, au lycée puis à la fac, il est possible d'avoir des notes correctes en restant discret et en adressant la parole à vos professeurs seulement une semaine avant le conseil de classe (au cas où... on ne sait jamais hein), cela devient un peu plus compliqué quand on est en prépa (sauf pour le gars excellent qui nous impressionne toujours, mais ça, il y en a deux par promo seulement).

Car en effet, le clientélisme se révèle être une tactique imparable ! Le professeur de prépa, qui est brillant et a très bien réussi, est un être doté d'une sensibilité... et d'un ego très développés ! Prenez donc en note (surtout), ses petites anecdotes qu'il raconte pendant ses cours (oui, ces interruptions de cours qui permettent de discuter avec les copains) afin de les replacer en devoir ou en khôlle.
Plus encore, cernez sa personnalité, ses idées philosophiques (politiques aussi... oups), le type d'humour qu'il affectionne... Et forgez vous une personnalité qui changera en fonction du professeur que vous aurez en face de vous !

Pas très moral n'est-ce pas ? Certes, mais très efficace ! Appelez ça "capacité d'adaptation pour survivre en milieu hostile". Avec ça, vous grimperez vite dans les sondages d'opinion de la salle des profs, et vos notes augmenterez avec votre côte de popularité. D'autre part, il s'agit d'une bonne expérience de la vie professionnelle, surtout si vous comptez entrer en politique.

Ainsi, pour survivre en prépa, il faut savoir renoncer à sa propre personnalité ainsi qu'à ses opinions... pour quelques temps. Si cela s'avère intenable (on peut aisément le comprendre), écrivez un journal ou des billets d'humeur, ça vous soulagera.

Comment une grande partie d'une promo ne lit pas les livres demandés chaque année

Est donc venu le moment de démonter un dernier grand mythe sur la prépa littéraire. Le plus surcoté de tous. Non, tous les étudiants en khâgne n'ont pas avalé tous les ouvrages de la Pléiade, la bibliographie complète de Verlaine, de Proust et la pensée des Pères de l'Antiquité.
Pensez-vous ! Les trois quarts des livres demandés chaque année par les professeurs ne sont même pas lus !
Le secret ? Lire des résumés, faire des fiches synthétisant les trois principaux thèmes de l'ouvrage et alimenter un recueil de citations qui nous serviront un peu partout tout au long de l'année. Des lieux communs, des passe-partout en somme.

Pour compléter cela, lire, quand on en a le temps, des livres qui nous plaisent réellement. Car même si l'oeuvre de Houellebecq n'est pas recommandée par nos chers professeurs et qu'elle n'est malheureusement pas considérée comme un classique de la littérature française, elle renferme tout de même des réflexions intéressantes et des thèses qui pourront venir compléter des arguments que vous développez. Quoi de mieux que de parler de la transfiguration du personnage proustien à travers l'art, en prenant un exemple un peu plus contemporain du héros (malgré lui) de La Carte et le territoire ?
S'affranchir des volontés des professeurs ne nous empêche pas d'être des amoureux de la lecture.

Jean-Paul Brighelli conseille par ailleurs un ouvrage (que je viens de terminer), écrit par Pierre Bayard, professeur de littérature française, et intitulé Comment parler des livres que l'on na pas lus ?
Si je peux vous le conseiller, il s'agit de la Bible de l'étudiant en B/L ! Scandaleux à souhait et plein de bons conseils (venant d'un professeur de littérature en plus, que demander de plus !), ce livre nous incite à nous écarter des lectures trop longues et trop précises de certains ouvrages. Ce qui ne nous empêche pas de parler d'eux.
Si l'on devait dégager une grande méthode efficace (parmi tant d'autres) dégagée par Pierre Bayard, il s'agirait certainement de maîtriser plus ou moins quelques idées clés d'une oeuvre. Savoir peser le pour et le contre de ces idées, les compléter par des connaissances personnelles extérieures et surtout... se rendre maître de notre propos afin de prendre l'ascendant sur notre interlocuteur.
Idéal pour briller en khôlle, utile pour les devoirs écrits, n'ayez plus honte de parler de ce que vous ne connaissez pas !

Vous ne serez pas étonnés d'apprendre que notre Président (pour ne pas le citer) fut élève en B/L et que le pamphlet que je lu et qui m'incita à écrire cet article, lui était à l'origine destiné.
Mais, rempli de petites vérités acides et parfois dérangeantes, il fallait venir le compléter afin de démonter les quelques dernières idées reçues qui circulent facilement sur les khâgnes.

Pas trop déçu ? Peut-être un peu rassuré ? Postulez, venez en khâgne ! Si vous n'intégrez pas l'ENS, vous obtiendrez au minimum un brevet d'enchanteur !

P.M.

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