Lectures estivales

Les vacances d’été. Quand le temps retrouvé joue enfin en notre faveur, vient alors l’occasion pour beaucoup d’ouvrir un livre et s’y plonger. Profondément. L’occasion dès lors de rattraper les retards sur les classiques ou la rentrée littéraire dernière (alors que survient déjà la nouvelle… !!!). Pour d’autres, il s’agit d’approfondir les lectures de l’année. Faire le point.



Il y a le livre que l’on apporte sur la plage, pas trop intello ni trop précieux, de quoi détendre l’esprit et résister aux difficultés géographiques locales que sont le vent, le sable ou encore les éclaboussures d’eau iodée. Il y a ce livre du début d’après-midi, plus intime et luttant contre les paupières lourdes qui se ferment inexorablement ; c’est en effet l’heure de la sieste au soleil.
Puis il y a ce Livre. Avec une majuscule. Celui que l’on prend du temps à choisir. Ce livre qui élève l’esprit et construit les fondations des réflexions qui façonnent nos aventures littéraires…

Avant d’aborder la Rentrée littéraire 2019, Carnet de Vol effectue sa propre rentrée en consacrant ce premier article à ses lectures estivales.

Attachez vos ceintures, décollage imminent...

Le livre que j’ai emporté à la plage

J’avais jusqu’alors deux aprioris sur Guillaume Musso. Certaines formes de célébrités m’apparaissent parfois étonnantes et Guillaume Musso me semblait assez surcoté, telle était mon idée. J’appréhendais cet auteur comme étant surfait, pour ne pas dire plat, mais pire que ça, j’imaginais ses romans ennuyeux. Car un livre qui ne fait pas accrocher son lecteur est pire que la banalité d’un propos car il est voué tôt ou tard à l’abandon. Force est de constater que je me trompais alors : j’ai lu La vie secrète des écrivains d’une traite.
L’intrigue, saisissante, a cette faculté d’enlacer le lecteur jusqu’au bout de l’histoire, le ménageant tout juste : les rebondissements ainsi que la construction de l’intrigue en surprendront plus d’un. Et ce jusqu’à la dernière page.

Mais Musso à travers ce roman tombe dans un travers qu’il est impossible de ne pas évoquer ici. Le nombre de références à des auteurs – mais également des citations entières – viennent parceller le récit, donnant l’impression alors que l’auteur cherche à tout prix à justifier ou bien clarifier des points de vue qu’il n’assume pas totalement. Simple impression ou bien réalité, il est dommage de voir l’auteur appeler à sa rescousse ces trop nombreuses références (d’Umberto Eco jusqu’à Marcel Proust, en passant même par J.K. Rowling). Ne peut-il pas explorer lui-même les tréfonds d’un cheminement de pensée qu’il n’a pas encore tout à fait adopté ? Et puis, un auteur a-t-il vraiment besoin de se justifier ?

Quoi qu’il en soit, la lecture de La vie secrète des écrivains s’est avérée tout à fait agréable : un livre très facile à lire !

Le livre qui m’a suivi dans mes moments de solitude 

«C'est dans l'isolement que s'apprennent le mieux les secrets de l'Art, et la Beauté, comme la Sagesse, aime l'adorateur solitaire.» écrivait Oscar Wilde. Je me devais ainsi de choisir un livre en conséquence pour accompagner mes moments de solitude, devant la beauté d’un paysage ou bien durant l’heure précédant l’abandon du corps au sommeil réparateur qui enrobe l’âme paisible du vacancier d’été.
Contre toute attente, ce livre fut en fait deux livre.

Le premier est signé Sorj Chalandon que l’on ne présente plus. Cet écrivain français né à Tunis, très attendu par la Rentrée littéraire 2019 avec Une joie féroce paru chez Grasset, est coutumier des romans qui nous bouleversent.

C’est avec Mon Traître que je passai les premiers jours du mois d’août. Dans ce récit poignant, le narrateur qui est luthier à Paris, nous emmène à Belfast, dans une Irlande dont il est tombé amoureux. Mais pas n’importe qu’elle Irlande : une Irlande indépendantiste, catholique, qui a subi la guerre civile et panse encore ses plaies. L’Irlande de l’IRA, qui dans la province de l’Ulster, connaît toute la dimension d’une lutte pour l’Indépendance.

Dans un roman inspiré de son histoire personnelle, Sorj Chalandon dépeint avec passion un peuple guidé par la foi et l’espoir à travers son humanité et cette chaleur propre aux Irlandais. L’intrigue, bien ficelée, nous guide vers la trahison d’un ami et explore la frontière, constamment sous tension, entre l’être politique plongé dans la lutte et son moi profond, qui tisse les liens d’une profonde amitié et bien plus encore.

Salué par la critique et couronné, entre autre, du Prix Simenon et du prix Joseph Kessel, Mon Traître est ma claque émotionnelle de l’été.
C’est avec ferveur que je me plongerai dans Retour à Killybegs : la même histoire exposée cette fois-ci à travers le point de vue du fameux traître.

Dans un genre plus classique, La Religieuse de Diderot fut ma seconde révélation de l’été.
L’on se plonge ici dans le quotidien de la cadette d’une famille de trois sœurs, rentrée dans les Ordres par la force d’une mère adultère qui tente d’expier par l’intermédiaire de sa fille une faute inavouable pour l’époque, et d’un père lucide, dépourvu de tout amour pour une fille n’étant pas la sienne.

Si Diderot dénonce à travers ce récit les vices de la société austère de son époque ainsi que la cruauté et les excès de certains couvents, il ne faut pas voir à travers La Religieuse le rejet primaire du catholicisme et la négation de la pureté spirituelle d’un engagement envers Dieu.

Car au contraire, sœur Suzanne qui ne se sent pas la vocation de servir Dieu et rejette de fait ses vœux prononcés sous la contrainte, est le symbole idoine de la pureté, que ce soit sur le plan matériel ou bien spirituel. La protagoniste de ce roman-mémoire s’érige ici comme modèle d’une croyance dont Diderot semblerait vouloir inspirer le lecteur.

Tragique, cruel et d’une beauté pure, La Religieuse est un roman à lire et à relire. Pour l'anecdote, Michel Houllebecq le lit un dizaine de fois (faute d'avoir d'autres livres sous la main) dans le film "L'enlèvement de Michel Houellebecq", où il y joue son propre rôle.

Terminons la liste par un essai

Car des vacances sans la présence de Sartre auraient un goût d’inachevé, terminons cette liste estivale (non exhaustive) par l’Humaniste le plus disruptif de son siècle.

Après avoir lu Le Mur, ce très poignant recueil qui à travers ses nouvelles explore les fondements physiologiques et psychiques de l’existence humaine et de la conscience, ou encore Huis-clos où l’autre est érigé en enfer jusqu’à en rendre misanthrope le lecteur, c’est un essai de l’auteur que je découvrais cet été.

Réflexions sur la question juive, paru au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale est une réflexion à la démarche très copernicienne, qui vise pas tant à développer une réflexion sur le juif ou bien sur la pensée antisémite, mais plutôt à centrer celle-ci sur son auteur : l’antisémite. C’est donc à rebours que Sartre nous dévoile ses réflexions qui ont pour idée forte que le juif est une « créature » créée de toute pièce par l’antisémite.

L’on peut reprocher au philosophe un récit trop peut mature qui ne prend pas en compte les catastrophes du totalitarisme du XXème siècle (et pour cause, à l’époque de cet essai, toutes les horreurs n’ont pas encore été dévoilées au grand public) : « L’image de l’homme est inséparable d’une chambre à gaz » écrira pourtant Georges Bataille à la même époque. Mais ce texte de Sartre, structuré en trois parties, offre tout de même des débuts d’éléments de réflexion sur les fondements de l’antisémitisme.

Aux lecteurs éclairés du XXIème siècle que nous sommes, d’étoffer aujourd’hui cet essai en prenant en compte le réveil culturel juif des années 1960-70 ainsi que la dimension historique et civilisationnelle de ce peuple (élément que Sartre a laissé de côté) et de tenter un approche un peu moins phénoménologiques des termes du sujet, qui fatalement tend à réduire le champ de la réflexion tout au long de l’argumentum.

Ainsi s’achève ce partage de mes lectures d’été, dont la fin quelque peu douloureuse ouvre des horizons de lectures nouvelles éclairées notamment par la Rentrée littéraire à venir !

P.M.

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