Une lecture de l’Iran

Depuis le 28 décembre 2017, un mouvement de contestations sans précédent s’est emparé de l’Iran. Débuté dans les toutes premières heures dans l’est du pays, à Mechhed la deuxième ville iranienne la plus importante après Téhéran, ce mouvement s’est peu à peu propagé à travers tout le territoire, nous remémorant ainsi les vagues de manifestations de 2009.


Voici deux livres qui vous accompagneront afin de découvrir et mieux comprendre l'Iran. #Lecture #Iran
Deux livres qui vous accompagneront pour (re)découvrir l'Iran !

Le motif de lutte qui ressort réside dans la stagnation politique ainsi que la corruption des élites, qui continuent de freiner le pays autant sur le plan économique que sur la scène internationale.

Tout d’abord passives, pensant que le mouvement s’étoufferait par lui-même, les autorités ont menacé de mener une répression sévère en vue des nouvelles manifestations qui sont prévues en fin d’après-midi (2 janvier 2018). 21 morts dus aux violences engendrées par les contestations sont à déplorer et près de 500 arrestations ont été menées depuis samedi.

Une situation cependant plus complexe

Cependant, le contexte actuel est bien plus complexe que lors du mouvement de 2009 en Iran et va bien au-delà du traditionnel clivage réformateurs/conservateurs. Hassan Rohani, réélu Président de la République Islamique en mai 2017 est aujourd’hui considéré comme étant un conservateur modéré. Candidat soutenu par les réformateurs et prônant une certaine ouverture avec le monde Occidental, son autorisation de se présenter à l’élection accordée par le Guide Suprême avait même été la grande surprise de la campagne électorale. Le candidat Rohani été alors sorti vainqueur de son principal adversaire le très conservateur Ebrahaim Raïssi, chouchou de Khamenei, dès le premier tour.

Hassan Rohani a d’ailleurs, dans un contexte de pacification, déclaré légitimes les revendications des manifestants au vue de la situation économique du pays, tout ménageant ses adversaires conservateurs. Cette double posture trouble quelque peu le contexte actuel en Iran, d’autant plus que certains acteurs des révoltes de 2009 gardent une position distante quant aux actuelles manifestations, de peur de perdre certains acquis incontestables depuis l’arrivée au pouvoir du Président Rohani.



Lire avec l’Iran 

A cette occasion je reviens sur deux ouvrages qui ont profondément marqué mes lectures et m’ont aidé à pénétrer (à mon niveau de lecteur) la société iranienne, afin de mieux comprendre les attentes et les craintes de ce peuple persan entraîné par une histoire multiséculaire extraordinaire en richesses.
Je voyais, ou plutôt je pensais à travers mes clichés de petit occidental mal éduqué, l’Iranien austère et belliqueux. Je l’ai alors rencontré à travers mes lectures bien plus réelles et terre-à-terre que toutes ces images éculées dont m’abreuvaient jusqu’alors les médias de masse et autres visions périphériques. Ma découverte fut envoûtante, dès lors, je me passionnais pour l’ancienne Perse, avec en plus cette leçon à la clé : la conviction d’une majorité ne fais pas force de vérité.

Cet article, en plus de sa vouée informative, est un hommage pour les deux auteurs dont je vais maintenant vous parler.


Les Enfants du Jacaranda, Sahar Delijani

Sahar Delijani a tout d’abord connu un destin tragique. Ses parents sont emprisonnés pour leurs idées politiques défavorables au nouveau régime de l’Ayatollah Khomeini : c’est dans la prison d’Evin qu’elle verra le jour pour la première fois en 1983. Elle et son frère aîné grandirent tout d’abord avec leurs grands-parents en attendant la libération de leur mère d’abord, puis de leur père ensuite.

C’est cette période qui l’inspira pour l’écriture de son premier livre Les Jacarandas de Téhéran (ndlr Les Enfants du Jacaranda) qui sera traduit dans 70 langues différentes !

Ce livre retrace une période intergénérationnelle, débutant dans les années 1983, début des arrestations politiques de masse qui déboucheront sur la purge de l’été 1988 où 30000 prisonniers trouveront la mort, puis serpentant jusqu’à la fin du mouvement vert en 2011.

Dans un Iran post-révolutionnaire, la tournure qu’ont pris les événements a laissé la place à des milliers de déçus. Parmi eux, les plus courageux vont se lancer dans une campagne clandestine, visant à combattre le régime et son fanatisme en vue de jours meilleurs. Mais que faire face aux impitoyables Gardiens de la Révolution qui, arrêtant, interrogeant et brutalisant, se lancent dans une effroyable répression des partisans de la liberté ? Emprisonnés pendant plusieurs années, beaucoup ne verront pas grandir leurs enfants ; d’autres perdront la vie durant les purges…

Vingt ans plus tard, la génération d’après n’a pas oublié (certains ont émigré vers l’Europe), vivant sous le poids du passé écrit par leurs parents. Des réminiscences s’ébauchent, se précisent, au point de faire surgir un récit poignant, guidé par des objets ainsi que des photos éternels témoins d’un passé encore proche. Cette mémoire est d’autant plus vive qu’à l’aube de juin 2009 se profile une nouvelle vague de protestations et de lutte politique. Khomeini a depuis longtemps laissé la place à Khamenei, mais le fondamentalisme perdure. Vient alors le mouvement vert, tel un passage de flambeau intergénérationnel…

C’est cette histoire vécue par de nombreux Iraniens qui se trouve racontée à travers les personnages de Neda et Omid, enfants qui voient la main de fer qui dirige le pays emprisonner leurs parents. Neda qui elle aussi, naîtra dans la prison d’Evin.
Cette histoire, c’est l’histoire des enfants qui ont grandi à l’ombre des Jacarandas, ces arbres violets dont la douceur contraste avec la violence de l’histoire iranienne.


Je vous écris de Téhéran, Delphine Minoui

Delphine Minoui est une journaliste française. Ou plutôt : franco-iranienne. Iranienne ? Par son père mais surtout par son cœur. Car c’est cet Iran, impénétrable aux premiers abords, qui va pousser l’auteure de ce livre à passer douze ans de sa vie à sonder ce pays à travers la mémoire de son grand-père qui a emporté avec lui grand nombre de mystères. Ce livre est d’ailleurs une lettre posthume qui lui est adressée : « Babai », présent à chaque page de ce récit poignant qui nous raconte l’ancienne Perse comme personne n’aurait su le faire sans cet amour profond qui lie l’auteure à sa famille et ce pays qui n’a pas su l’accueillir plus tôt.

L’on découvre alors une société iranienne qui s’émancipe à l’abri de ces austères Mollahs (qui nous réservent cependant parfois bien des surprises !), en quête de toujours plus de modernité, de libertés et de paroles, choses qui sont si chères lorsqu’elles se font si rares… Une population en quête de vie tout simplement.

L’on y croise aussi ce fier Bassidji dont le nom m’échappe, qui après avoir écarté la méfiance du lecteur, attise alors sa curiosité et son attendrissement pourtant si paradoxal. L’on y découvre un homme tout à fait simple, guidé par une philosophie restée ancrée dans le passé ainsi que par ses héros, les soldats qui ont combattu contre l’Irak.

Ce livre fut durant ma lecture attentive, le recueil de mes émotions les plus multiples. Il fut l’occasion pour moi de pénétrer un peu plus dans cet Iran que j’avais alors effleuré grâce à la plume de Sahar Delijani. Rempli d’analyses couvrant toutes les catégories de la population, je ne peux que conseiller Je vous écris de Téhéran, qui constitue une lecture agréable durant laquelle chaque mot nous instruit. Bien plus qu’un récit, voici une perle incontournable très justement récompensée par le Prix du Livre Ailleurs en octobre 2016 !

En échos aux événements qui surviennent actuellement en Iran, voici donc un conseil de deux lectures précieuses qui vous aideront j'en suis certain, à vous faire découvrir l'Iran sous un autre angle et aborder son passé tourmenté qui se reflète aujourd'hui encore à chaque coin de rue, de Téhéran jusqu'à Sardasht.

P.M.

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